
Pierre-Laurent Macridis
Associate Principal – Private, Alternative & impact investments at Fondaction
Pierre-Laurent est reconnu comme un leader d’opinion mondial en matière d’investissement d’impact par le Global Impact Investing Network’s (GIIN) dont il est membre du conseil des investisseurs depuis 2019. Son rôle actuel est celui d’un associé principal en gestion d’actifs d’impact chez Fondaction, où il travaille sur l’investissement ou la création d’entreprises & de fonds dont le produit ou service principal génère des impacts sociaux & environnementaux positifs. À l’avenir, il souhaite faire évoluer cette génération d’impact en orientant des sommes d’argent plus importantes vers l’investissement d’impact.
Votre travail et son impact
Comment la durabilité et l'impact social sont-ils intégrés dans votre travail?
Dans le cas de l’investissement d’impact, il est particulièrement facile de répondre à cette question puisque le développement durable et l’impact social sont la raison d’être de cette industrie. Quel que soit l’investissement que l’on exécute, la génération de retombées positives est recherchée, autant au niveau de l’impact social qu’au niveau environnemental, et économique parfois. Il s’agit d’aller un pas plus loin qu’uniquement prendre en considération les facteurs “ESG” (Environnementaux, sociaux et de gouvernance) avec lesquels on viserait à mitiger le mal que l’on fait avec nos investissements, mais plutôt chercher de façon proactive à générer des retombées positives qui contribuent à l’atteinte des objectifs globaux de développement durable.
Comment êtes-vous entré dans ce domaine?
À l’époque, on était encore au tout début du marché de l’investissement d’impact. J’étais déjà très impliqué à l’échelle universitaire et régionale à Montréal mais aussi à l’échelle internationale pour différentes conférences, congrès, et webinars (Avec le GIIN et l’Impact Management project.) au niveau de l’investissement d’impact, me permettant ainsi de développer une expertise sur le sujet. Le dernier stage complété à la fin de mes études, je l’ai fait dans les bureaux de Toronto de Harbourvest, qui est un fond de placements privés plus traditionnel basé à travers la planète entière. Étant satisfaits de mon travail, ils m’ont offert un emploi au Royaume-Uni, d’où je viens, mais je souhaitais rester au Canada et transitionner plus rapidement vers la finance durable et l’investissement d’impact. Ils m’ont ainsi mis en contact avec Genevieve Morin et Luc Villeneuve, respectivement la directice générale et un directeur de portefeuille principal à Fondaction. Lors de cette rencontre, et d’autres avec Stéphan Morency chef de l’investissement,, je leurs ai présenté l’investissement d’impact et mon envie de participer activement au développement de ce marché au Canada: ils m’ont ainsi offert une position me permettant de monter cela avec eux. Voilà comment s’est passée mon entrée dans l’industrie: cela a été de nombreuses années à développer une expertise et des connaissances dans le milieu, et dès que j’ai eu l’opportunité d’être mis devant des gens qui pouvaient potentiellement m’employer et qui partageaient les mêmes valeurs et la même volonté de bouger vers l’impact, j’ai attrapé cette occasion.
Avez-vous toujours voulu travailler dans le domaine de l'impact?
Oui, aussitôt que j’ai entendu parler de l’investissement d’impact, j’ai immédiatement su que c’était ce que je souhaitais faire. J’ai démontré depuis mon adolescence une forte motivation pour la lutte contre le changement climatique. J’étais aussi intéressé par l’économie, le business, la finance dès un jeune âge, prédatant ainsi l’existence de l’investissement d’impact. À l’époque, je me posais des questions sur comment il serait possible pour moi d’aligner la croissance avec la lutte contre les changements climatiques. C’est là où j’ai appris un peu de l’investissement ESG qui m’a énormément déçu à l’époque, je pensais que cela n’allait pas assez loin. J’ai eu un intérêt pendant un moment à devenir avocat de la protection environnementale, j’ai par la suite fait un stage dans un cabinet d’avocat qui ne m’a pas confirmé cette vocation, et ce fut pareil pour le conseil, qui me plaisait et pour lequel j’étais bon mais cela m’embêtait de ne pas faire un suivi avec les entreprises. Je me suis aussi penché vers la finance d’entreprise pour une large compagnie d’énergie, pour investir dans des projets d’énergie renouvelable, avant de me rendre compte que c’était beaucoup de comptabilité et un peu d’investissement. C’est par la suite que je me suis décidé à me concentrer sur la partie investissement pur. C’est au cours de tout ce parcours là, de 2008 à 2015, que j’ai entendu pour la première fois parler de l’investissement d’impact, fin 2012, soit durant ma première année de bachelier et c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était définitivement dans cet espace je souhaitais bâtir ma carrière.
Qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus dans votre secteur/domaine ces dernières années?
L’investissement d’impact est en train de bouger d’une stratégie un peu plus niche à une stratégie que tout le monde commence à connaître: c’est excitant et inquiétant en même temps. L’impact est en train de devenir beaucoup plus répandu avec plus d’intérêts et projecteur. Comme opportunité cela amène plus de capital dans le marché à déployer et adresser les grands enjeux sociétaux tel que le changement climatique, les inégalités sociales, la pollution maritime etc. En terme d’importants développements ces dernières années, le lancement de IRIS+ qui est le framework référentiel pour la mesure d’impact, il y a 3 ans, a été un tournant marquant pour l’investissement d’impact. De nombreuses personnes dans l’industrie se plaignaient de l’absence d’un standard et langage commun, sans lesquels il est impossible de travailler ensemble. Les objectifs de développement durable (ODD) ont été posé depuis 2015 et plus récemment, j’ai pu participer au lancement de la plateforme de IMP (Impact Measurement project) qui est le troisième pilier de cette conversation sur l’impact, avec comme visée dans un premier temps les entreprises avec un travail prémâché sur comment développer une nouvelle structure durable et une théorie de changement. Tout comme IRIS+ a changé la donne au niveau de la mesure d’impact, la plateforme IMP qui est en cours de lancement sera aussi un cadre conceptuel dans lequel cet impact est généré. Le dernier pilier qui a un potentiel de changer l’industrie, concerne la possibilité d’une analyse comparative (benchmarking) en impact. Le manque de comparabilité d’un gestionnaire en impact à autre (par exemple comparer la réduction du nombre de tonnes de CO2 et d’autres indicateurs d’impact social par dollar investiti) demeure encore aujourd’hui problématique mais beaucoup de travail est en train de se faire au niveau du GIIN et d’autres organisations dont le IMP et la World Benchmarking Alliance (WBA).
Une fois que ces méthodes de benchmarking en impact seront sur le marché, opérationnelles et utilisées par le monde, c’est ce qui permettra à l’industrie de passer d’un stade en développement à une industrie mature. Dès que l’on pourra commencer à se comparer les uns les autres, et faire une course vers le haut plutôt que vers le bas en terme de génération d’impact par dollar investi, je pense que cela va tout changer.
Existe-t-il des idées fausses sur votre profession ou votre secteur?
L’idée reçue que les investissements d’impact ne peuvent pas générer de retour compétitif perdure toujours, mais la vision que ce type d’investissement est automatiquement un rendement concessionnel, c’est à dire que l’on génère moins d’argent, ou alors avec beaucoup plus de risque est graduellement en train de disparaître. En terme de professionnels dans l’industrie, il y a une conception que l’on est des “hippies” et que l’on n’est pas aussi bons que d’autres investisseurs plus traditionnels, autrement on serait en train de travailler ailleurs. Il est vrai que beaucoup de monde dans le milieu l’investissement d’impact ne vient pas des chemins typiques de la finance traditionnelle mais la structure mentionnée plus tôt est en train de changer les choses. Un grand nombre de personnes de la finance traditionnelle sont en train de rentrer en investissement d’impact, alors que dans le passé si quelqu’un parlait de développement durable dans le monde de la finance, il était considéré comme un alien, ce n’était pas possible de développer une carrière dans ce milieu là.
Votre vie et vos aspirations
À quoi ressemble une journée de travail typique pour vous ? Quel est l'équilibre entre votre vie professionnelle et votre vie privée?
Je pense que dans le monde de la finance, et plus on est jeune, c’est une volonté de dire avec fierté que l’on travaille 100h par semaine. Pourtant c’est que très souvent le cas qu’au début de sa carrière on ne sait pas grand chose et on essaie donc d’apprendre rapidement. Par exemple à Harbourvest, ce qui m’avait pris un journée et demi à faire, l’associée principale avait seulement pris quelques heures à le faire. C’est donc normal qu’au début de sa carrière on soit amené à travailler beaucoup plus et ce n’est pas particulièrement parce que la position le requiert mais plutôt que l’on ne sait pas comment faire le travail rapidement, efficacement et sans faire d’erreurs. Progressivement avec les années, le ratio équilibre de travail-vie personnelle sera différent et évoluera. C’est un élément que tu peux contrôler à un certain niveau, si tu es une personne souhaitant un meilleur équilibre de travail-vie personnelle, c’est un choix possible mais qui implique par conséquent une progression de carrière plus lente. Personnellement, ma famille est en Europe, et cela ne me gêne pas de travailler des week-end entier ou de suivre des cours en ligne pour m’améliorer dans mon travail. Mes premières années à Fondaction je travaillais près de 70 heures et plus par semaine. Cependant ce montant d’heure n’est pas forcément lié à l’aspect impact. Que l’on soit analyste dans un fond de placement privé standard ou analyste dans un fond d’investissement d’impact, il s’agira de la même quantité de travail, même si peut-être légèrement plus en impact car il y a plus de considérations à avoir. Ce qui détermine la quantité de travail, c’est tout d’abord la culture organisationnelle et les personnes avec qui tu travailles. Il sera cependant rare en investissement d’impact ou en fond de placements privés, de faire une semaine de 40 heures pile: le ratio se situera souvent entre 50 et 60 heures. Au-delà de 60 heures, il s’agira de vouloir aller encore plus loin pour devenir le plus performant,d’apprendre & développer de nouvelles capacités plus rapidement , et privilégier son développement de carrière par choix.
Quelles sont les parties de votre travail que vous trouvez les plus difficiles?
L’élément le plus difficile, mais aussi le plus gratifiant, est qu’il faut tout connaître. Il existe la règle des 80/20 qui est de dire que cela prend 20% de temps de devenir compétent à 80% dans un domaine, et 80% de son temps pour obtenir les 20% restants. Dans mon rôle, il faut être 80% compétent dans cinq choses différentes. Par exemple, en ce qui concerne les qualités pour faire ce que je fais, il y en a cinq principales. J’ai tout d’abord besoin d’être très social: connaître des personnes, gérer des relations. Il me faut ensuite avoir une vision très stratégique pour comprendre les prochaines étapes, être bon en développement de business. J’ai aussi besoin d’une expertise d’analyse financière, de comprendre les budgets, la comptabilité afin de formuler le tout dans une thèse d’investissement. En plus de cela, il nous est essentiel de comprendre tout le volet d’impact: qu’est-ce que cela signifie la mesure d’impact et comment est-ce qu’on l’exécute. Quels sont les thèmes d’impacts principaux que l’on va vouloir adresser avec ces compagnies et développer la théorie de changement. Enfin, le dernier aspect est la partie légale: si je vais signer un accord il faut que je puisse négocier avec des avocats les termes et conditions. Ces cinq éléments représentent juste le minimum pour être bon dans son travail.
Quelle est la prochaine étape pour vous, quels sont vos objectifs à long terme (si vous en avez)?
Mon objectif long terme est le même depuis 2012, et cela restera mon objectif entier de carrière: je veux aider à créer la plus grande firme d’investissement d’impact du canada et potentiellement d’Amérique du Nord. J’espère pouvoir atteindre cette vision avec Fondaction, mais sinon toutes mes actions et décisions sont faites avec cet objectif précis en tête.
Conseil pour la prochaine génération
Quelles sont les 3 compétences clés requises dans votre fonction?
La première compétence concerne les relations interpersonnelles (réseautage, business development etc.) qui représentent une grande partie du travail. C’est une erreur que je vois beaucoup de personnes entrant dans l’industrie faire, de penser qu’ils ont uniquement besoin d’être très techniques (analyse financière, modélisation etc.). Or ce qui fait la différence entre un analyste et un conseiller, c’est cette capacité à sortir faire du réseautage,faire en sorte que les contrats soient signés, détecter les opportunités de collaborations et savoir gérer des relations Ces derniers peuvent justement être développés en tant qu’étudiants à l’université.
Il faut aussi avoir un esprit critique très développé et savoir exécuter dessus. Il ne s’agit pas seulement de dire que quelque chose est incorrect, mais aussi d’expliquer pourquoi, le mettre en pratique et savoir le communiquer avec l’autre personne. Cela s’applique autant d’un point de vue financier, que sur le volet impact.
Enfin le dernier concerne la capacité de développement de business et de stratégie, pouvant être développé au niveau universitaire (en étant entrepreneur, impliqué dans des communautés d’entrepreneuriat, comme à l’université de McGill avec le Dobson Center et des réseaux comme Enactus en innovation sociale). Il existe de nombreuses opportunités pour le faire et il s’agit de voir en pratique réellement comment un business fonctionne, c’est une chose essentielle. Je fais régulièrement face à des étudiants récemment diplômés qui manquent de pratique avec un réel business, et leur compréhension de comment le business fonctionne est basé sur les cours de gestion qu’ils ont eu, et ce n’est pas souvent transférable car ce ne sont pas les mêmes questionnements ou enjeux.
Qu'il s'agisse de votre propre parcours ou de celui de vos collègues et amis qui exercent une profession similaire, dans quelle mesure est-il important d'avoir un diplôme spécifique pour pouvoir travailler dans votre secteur/profession?
L’investissement d’impact, comme je le disais plus tôt, est en stade de transition vers un marché plus mature. Je pense que dans les cinq prochaines années, l’importance d’un diplôme spécifique pour cette industrie va devenir de plus en plus marquée et un parcours typique va ressortir. Cependant je pense que dans ce domaine, à plusieurs niveaux, il est plus probable d’avoir des chemins atypiques car les positions ne requièrent pas seulement une expérience transactionnelle et d’investissement de finance mais aussi une expertise au niveau d’impact. Il me semble qu’en investissement d’impact il y aura deux parcours typiques qui vont ressortir. D’une part il y aura des personnes amenant une vraie expertise technique sur un certain thème d’impact, que ce soit la lutte contre le changement climatique, la déforestation, la biodiversité etc. Pour ces derniers leur travail ne sera pas tant sur la décision pure d’investissement mais plutôt autour du management de la mesure d’impact. D’autre part, certaines personnes auront un parcours plus traditionnel dans la finance qui sera similaire à ce que l’on voit dans d’autres firmes d’investissements. Lors de mon entrée dans l’industrie, il s’agissait d’un marché en devenir avec des parcours atypiques.
Actuellement le diplôme est moins important du moment où un candidat est capable de démontrer les compétences mentionnées tantôt. Cependant un diplôme en business, en économie, ou un passé en sciences de l’informatique peut être utile. Mais tant que l’on est bon en mathématiques et que l’on a un bon esprit business, l’expérience sera toujours plus précieuse que le diplôme dans un bon nombre des cas. Cependant je pense que l’on se dirige vers des parcours et des diplômes plus standardisés dans un futur proche, d’autant plus que l’on commence à avoir de différents programmes plus spécifiques émerger en développement durable, qui n’existaient pas encore à mon époque.
Sachant ce que vous savez maintenant, auriez-vous fait quelque chose de différent en ce qui concerne votre carrière? Si non, pourquoi et quel est votre meilleur conseil de vie ou de carrière pour les jeunes?
Je ne pense pas, j’ai fait des bons choix tout au long de ma carrière et ai su prendre des risques malgré l’incompréhension de mes proches. À la fin de mes études, j’ai travaillé à Vinci en Europe en finance d’entreprise, et ces derniers souhaitaient potentiellement m’embaucher, or j’ai refusé l’offre pour suivre une maîtrise en ressources renouvelables à l’université de McGill. J’aurais pu finir ma maîtrise en 1 an, qui était en recherche, mais je l’ai finie en 2 ans et demi car j’ai passé les 6 premiers mois à réellement travailler dessus, 2 ans à travailler sur différents projets (Enactus, fond de compétition, networking, stage..) et en espérant que le marché de l’investissement d’impact évoluerait suffisament pour que je puisse entrer directement dans l’industrie, avant de finalement avoir cette opportunité avec Fondaction, me poussant ainsi dans 6 mois intensifs pour parvenir à soumettre ma thèse et commencer à travailler.
Ainsi, en voyant aujourd’hui vers où l’industrie a évolué je ne changerai rien à mon parcours, mais si j’étais une génération plus jeune, en train de regarder le marché, je n’aurai définitivement pas fait ce que j’ai fait car ca ne serait pas autant nécessaire.
Le nombre d’opportunités et d’emplois augmentent dans l’industrie: d’après l’Association pour l’Investissement Responsable, le nombre d’emplois en finance durable ont quadruplé au Canada entre 2016 et 2018. Malgré cela, la quantité de candidats forts voulant entrer dans le secteur demeure bien plus conséquente que ces emplois réels qu’il y a, rendant ainsi les positions extrêmement compétitives. Un conseil primordial que je donnerai donc est qu’il est essentiel que des étudiants soient capable de démontrer leur intérêt en ayant été impliqués dans organisations étudiantes, initiatives, stages et pas uniquement dire qu’ils sont passionnés de développement durable.